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无神论者的弥撒

巴尔扎克(法)
必读网(http://www.beduu.com)整理
La Messe de l’athée
Balzac, Honoré de

A propos de Balzac:
Honoré de Balzac (May 20, 1799 – August 18, 1850), born Honoré Balzac,
was a nineteenth-century French novelist and playwright. His work,
much of which is a sequence (or Roman-fleuve) of almost 100 novels and
plays collectively entitled La Comédie humaine, is a broad, often satirical
panorama of French society, particularly the petite bourgeoisie, in the
years after the fall of Napoléon Bonaparte in 1815—namely the period of
the Restoration (1815–1830) and the July Monarchy (1830–1848). Along
with Gustave Flaubert (whose work he influenced), Balzac is generally
regarded as a founding father of realism in European literature. Balzac's
novels, most of which are farcical comedies, feature a large cast of well-
defined characters, and descriptions in exquisite detail of the scene of action.
He also presented particular characters in different novels repeatedly,
sometimes as main protagonists and sometimes in the background, in
order to create the effect of a consistent 'real' world across his novelistic
output. He is the pioneer of this style. Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks pour Balzac:
. Le Père Goriot (1834)
. La Peau de chagrin (1831)
. Eugénie Grandet (1833)
. Illusions perdues (1843)
. Le Lys dans la vallée (1835)
. Le Chef-d’oeuvre inconnu (1845)
. La Recherche de l’Absolu (1834)
. La Femme de trente ans (1832)
. La Cousine Bette (1847)
. Le Colonel Chabert (1832)
Note: This book is brought to you by Feedbooks.
Strictly for personal use, do not use this file for commercial purposes.

CECI EST DEDIE A AUGUSTE BORGET,
Par son ami
DE BALZAC.

Un médecin à qui la science doit une belle théorie physiologique, et qui,
jeune encore, s'est placé parmi les célébrités de l'Ecole de Paris, centre de
lumières auquel les médecins de l'Europe rendent tous hommage, le docteur
Bianchon a long-temps pratiqué la chirurgie avant de se livrer à la
médecine. Ses premières études furent dirigées par un des plus grands
chirurgiens s, par l'illustre Desplein, qui passa comme un météore
dans la science. De l'aveu de ses ennemis, il enterra dans la tombe une
méthode intransmissible. Comme tous les gens de génie, il était sans héritiers
: il portait et emportait tout avec lui. La gloire des chirurgiens ressemble
à celle des acteurs, qui n'existent que de leur vivant et dont le talent
n'est plus appréciable dès qu'ils ont disparu. Les acteurs et les chirurgiens,
comme aussi les grands chanteurs, comme les virtuoses qui décuplent
par leur exécution la puissance de la musique, sont tous les héros
du moment. Desplein offre la preuve de cette similitude entre la destinée
de ces génies transitoires. Son nom, si célèbre hier, aujourd'hui presque
oublié, restera dans sa spécialité sans en franchir les bornes. Mais ne
faut-il pas des circonstances pour que le nom d'un savant passe
de la science dans l'histoire générale de l'humanité ? Desplein avait-il
cette universalité de connaissances qui fait d'un homme le verbe ou la figure
d'un siècle ? Desplein possédait un divin coup d'oeil : il pénétrait le
ma-lade et sa maladie par une intuition acquise ou naturelle qui lui permettait
d'embrasser les diagnostics particuliers à l'individu, de déterminer
le moment précis, l'heure, la minute à laquelle il fallait opérer, en faisant
la part aux circonstances atmosphériques et aux particularités du
tempérament. Pour marcher ainsi de conserve avec la Nature, avait-il
donc étudié l'incessante jonction des êtres et des substances élémentaires
contenues dans l'atmosphère ou que fournit la terre à l'homme qui les
absorbe et les prépare pour en tirer une expression particulière ?
Procédait-il par cette puissance de déduction et d'analogie à laquelle est
d. le génie de Cuvier ? Quoi qu'il en soit, cet homme s'était fait le confident
de la Chair, il la saisissait dans le passé comme dans l'avenir, en
s'appuyant sur le présent. Mais a-t-il résumé toute la science en sa personne
comme ont fait Hippocrate, Galien, Aristote ? A-t-il conduit toute
une école vers des mondes nouveaux ? Non. S'il est impossible de refuser
à ce perpétuel observateur de la chimie humaine, l'antique science du
Magisme, c'est-à-dire la connaissance des principes en fusion, les causes
de la vie, la vie avant la vie, ce qu'elle sera par ses préparations avant
d'être ; malheureusement tout en lui fut personnel : isolé dans sa vie par
l'ée, l'ée suicide aujourd'hui sa gloire. Sa tombe n'est pas surmontée
de la statue sonore qui redit à l'avenir les mystères que le Génie

cherche à ses dépens. Mais peut-être le talent de Desplein était-il solidaire
de ses croyances, et conséquemment mortel. Pour lui, l'atmosphère
terrestre était un sac générateur : il voyait la terre comme un oeuf dans sa
coque, et ne pouvant savoir qui de l'oeuf, qui de la poule, avait commencé,
il n'admettait ni le coq ni l'oeuf. Il ne croyait ni en l'animal antérieur,
ni en l'esprit postérieur à l'homme. Desplein n'était pas dans le doute, il
affirmait. Son athéisme pur et franc ressemblait à celui de beaucoup de
savants, les meilleurs gens du monde, mais invinciblement athées, athées
comme les gens religieux n'admettent pas qu'il puisse y avoir d'athées.
Cette opinion ne devait pas être autrement chez un homme habitué depuis
son jeune age à disséquer l'être par excellence, avant, pendant et
après la vie, à le fouiller dans tous ses appareils sans y trouver cette ame
unique, si nécessaire aux théories religieuses. En y reconnaissant un
centre cérébral, un centre nerveux et un centre aéro-sanguin, dont les
deux premiers se suppléent si bien l'un l'autre, qu'il eut dans les derniers
jours de sa vie la conviction que le sens de l'ou.e n'é-tait pas absolument
nécessaire pour entendre, ni le sens de la vue absolument nécessaire
pour voir, et que le plexus solaire les t, sans que l'on en p.t
douter ; Desplein, en trouvant deux ames dans l'homme, corrobora son
athéisme de ce fait, quoiqu'il ne préjuge encore rien sur Dieu. Cet
homme mourut, dit-on, dans l'impénitence finale où meurent malheureusement
beaucoup de beaux génies, à qui Dieu puisse pardonner.
La vie de cet homme si grand offrait beaucoup de petitesses, pour employer
l'expression dont se servaient ses ennemis, jaloux de diminuer sa
gloire, mais qu'il serait plus convenable de nommer des contre-sens apparents.
N'ayant jamais connaissance des déterminations par lesquelles
agissent les esprits supérieurs, les envieux ou les niais s'arment aussit.t
de quelques contradictions superficielles pour dresser un acte
d'accusation sur lequel ils les font momentanément juger. Si, plus tard, le
succès couronne les combinaisons attaquées, en montrant la corrélation
des préparatifs et des résultats, il subsiste toujours un peu des calomnies
d'avant-garde. Ainsi, de nos jours, Napoléon fut condamné par ses
contemporains, lorsqu'il déployait les ailes de son aigle sur l'Angleterre :
il fallut 1816 pour expliquer 1804 et les bateaux plats de Boulogne.
Chez Desplein, la gloire et la science étant inattaquables, ses ennemis
s'en prenaient à son humeur bizarre, à son caractère ; tandis qu'il possédait
tout bonnement cette qualité que les Anglais nomment excentricity.
Tant.t il allait [. il allait ., verbe qui manque dans Furne, rétabli ici, mais
qui figurait dans les éditions antérieures.] superbement vêtu comme Crébillon
le tragique, tant.t il affectait une singulière indifférence en fait de

vêtement ; on le voyait tant.t en voiture, tant.t à pied. Tour à tour
brusque et bon, en apparence apre et avare, mais capable d'offrir sa fortune
à ses es exilés qui lui firent l'honneur de l'accepter pendant
quelques jours, aucun homme n'a inspiré plus de jugements contradictoires.
Quoique capable, pour avoir un cordon noir que les médecins
n'auraient pas d. briguer, de laisser tomber à la cour un livre d'heures
de sa poche, croyez qu'il se moquait en lui-même de tout ; il avait un
profond mépris pour les hommes, après les avoir observés d'en haut et
d'en bas, après les avoir surpris dans leur véritable expression, au milieu
des actes de l'existence les plus solennels et les plus mesquins. Chez un
grand homme, les qualités sont souvent solidaires. Si, parmi ces colosses,
l'un d'eux a plus de talent que d'esprit, son esprit est encore plus étendu
que celui de qui l'on dit simplement : Il a de l'esprit. Tout génie suppose
une vue morale. Cette vue peut s'appliquer à quelque spécialité ; mais
qui voit la fleur, doit voir le soleil. Celui qui entendit un diplomate, sauvé
par lui, demandant : . Comment va l'Empereur ? . et qui répondit : .
Le courtisan revient, l'homme suivra ! . celui-là n'est pas seulement chirurgien
ou médecin, il est aussi prodigieusement spirituel. Ainsi,
l'observateur patient et assidu de l'humanité légitimera les prétentions
exorbitantes de Desplein et le croira, comme il se croyait lui-même,
propre à faire un ministre tout aussi grand qu'était le chirurgien.
Parmi les énigmes que présente aux yeux de plusieurs contemporains
la vie de Desplein, nous avons choisi l'une des plus intéressantes, parce
que le mot s'en trouvera dans la conclusion du récit, et le vengera de
quelques sottes accusations.
De tous les élèves que Desplein eut à son tal, Horace Bianchon fut
un de ceux auxquels il s'attacha le plus vivement. Avant d'être interne à
l'H.tel-Dieu, Horace Bianchon était un étudiant en médecine, logé dans
une misérable pension du quartier latin, connue sous le nom de la
Maison-Vauquer. Ce pauvre jeune homme y sentait les atteintes de cette
ardente misère, espèce de creuset d'où les grands talents doivent sortir
purs et incorruptibles comme des diamants qui peuvent être soumis à
tous les chocs sans se briser. Au feu violent de leurs passions décha.nées,
ils acquièrent la probité la plus inaltérable, et contractent l'habitude des
luttes qui attendent le génie, par le travail constant dans lequel ils ont
cerclé leurs appétits trompés. Horace était un jeune homme droit, incapable
de tergiverser dans les questions d'honneur, allant sans phrase au
fait, prêt pour ses amis à mettre en gage son manteau, comme à leur donner
son temps et ses veilles. Horace était enfin un de ces amis qui ne
s'inquiètent pas de ce qu'ils vent en échange de ce qu'ils donnent,

certains de recevoir à leur tour plus qu'ils ne donneront. La plupart de
ses amis avaient pour lui ce respect intérieur qu'inspire une vertu sans
emphase, et plusieurs d'entre eux redoutaient sa censure. Mais ces qualités,
Horace les déployait sans pédantisme. Ni puritain ni sermonneur, il
jurait de bonne grace en donnant un conseil, et faisait volontiers un
de chière lie quand l'occasion s'en présentait. Bon compagnon, pas
plus prude que ne l'est un cuirassier, rond et franc, non pas comme un
marin, car le marin d'aujourd'hui est un rusé diplomate, mais comme un
brave jeune homme qui n'a rien à déguiser dans sa vie, il marchait la tête
haute et la pensée rieuse. Enfin, pour tout exprimer par un mot, Horace
était le Pylade de plus d'un Oreste, les créanciers étant pris aujourd'hui
comme la figure la plus réelle des Furies antiques. Il portait sa misère
avec cette gaieté qui peut-être est un des plus grands éléments du courage,
et comme tous ceux qui n'ont rien, il contractait peu de dettes.
Sobre comme un chameau, alerte comme un cerf, il était ferme dans ses
idées et dans sa conduite. La vie heureuse de Bianchon commen.a du
jour où l'illustre chirurgien acquit la preuve des qualités et des défauts
qui, les uns aussi bien que les autres, rendent doublement précieux à ses
amis le docteur Horace Bianchon. Quand un chef de clinique prend dans
son giron un jeune homme, ce jeune homme a, comme on dit, le pied à
l'étrier [Coquille du Furne : dans l'étrier.]. Desplein ne manquait pas
d'emmener Bianchon pour se faire assister par lui dans les maisons opulentes
où presque toujours quelque gratification tombait dans l'escarcelle
de l'interne, et où se révélaient insensiblement au provincial les mystères
de la vie parisienne ; il le gardait dans son cabinet lors de ses consultations,
et l'y employait ; parfois, il l'envoyait accompagner un riche ma-
lade aux Eaux ; enfin il lui préparait une clientèle. Il résulte de ceci qu'au
bout d'un certain temps, le tyran de la chirurgie eut un Séide. Ces deux
hommes, l'un au des honneurs et de sa science, jouissant d'une immense
fortune et d'une immense gloire ; l'autre, modeste Oméga, n'ayant
ni fortune ni gloire, devinrent intimes. Le grand Desplein disait tout à
son interne ; l'interne savait si telle femme s'était assise sur une chaise
auprès du e, ou sur le fameux canapé qui se trouvait dans le cabinet
et sur lequel Desplein dormait : Bianchon connaissait les mystères de ce
tempérament de lion et de taureau, qui finit par élargir, amplifier outre
mesure le buste du grand homme, et causa sa mort par le développement
du coeur. Il étudia les bizarreries de cette vie si occupée, les projets
de cette avarice si sordide, les espérances de l'homme politique caché
dans le savant ; il put prévoir les déceptions qui attendaient le seul sentiment
enfoui dans ce coeur moins de bronze que bronzé.

Un jour, Bianchon dit à Desplein qu'un pauvre porteur d'eau du
quartier Saint-Jacques avait une horrible maladie causée par les fatigues
et la misère ; ce pauvre Auvergnat n'avait mangé que des pommes de
terre dans le grand hiver de 1821. Desplein laissa tous ses malades. Au
risque de crever son cheval, il vola, suivi de Bian-chon, chez le pauvre
homme et le fit transporter lui-même dans la maison de santé établie par
le célèbre Dubois dans le faubourg Saint-Denis. Il alla soigner cet
homme, auquel il donna, quand il l'eut rétabli, la somme nécessaire pour
acheter un cheval et un tonneau. Cet Auvergnat se distingua par un trait
original. Un de ses amis tombe malade, il l'emmène promptement chez
Desplein, en disant à son bienfaiteur : – . Je n'aurais pas souffert qu'il allat
chez un autre. . Tout bourru qu'il était, Desplein serra la main du
porteur d'eau, et lui dit – : . Amène-les-moi tous. . Et il fit entrer l'enfant
du Cantal à l'H.tel-Dieu, où il eut de lui le plus grand soin. Bianchon
avait déjà plusieurs fois remarqué chez son chef une prédilection pour
les Auvergnats et surtout pour les porteurs d'eau ; mais, comme Desplein
mettait une sorte d'orgueil à ses traitements de l'H.tel-Dieu, l'élève
n'y voyait rien de trop étrange.
Un jour, en traversant la place Saint-Sulpice, Bianchon son
e entrant dans l'église vers neuf heures du matin. Desplein, qui ne
faisait jamais alors un pas sans son cabriolet, était à pied, et se coulait par
la porte de la rue du Petit-Lion, comme s'il f.t entré dans une maison
suspecte. Naturellement pris de curiosité, l'interne qui connaissait les
opinions de son e, et qui était Cabaniste en dyable par un y grec (ce
qui semble dans Rabelais une supériorité de diablerie), Bianchon se glissa
dans Saint-Sulpice, et ne fut pas médiocrement étonné de voir le
grand Desplein, cet athée sans pitié pour les anges qui n'offrent point
prise aux bistouris, et ne peuvent avoir ni fistules ni gastrites, enfin, cet
intrépide dériseur, humblement agenouillé, et où ?… à la chapelle de la
Vierge devant laquelle il écouta une messe, donna pour les frais du culte,
donna pour les pauvres, en restant sérieux comme s'il se f.t agi d'une
opération.
– Il ne venait, certes, pas éclaircir des questions relatives à
l'accouchement de la Vierge, disait Bianchon dont l'étonnement fut sans
bornes. Si je l'avais vu tenant, à la Fête-Dieu, un des cordons du dais, il
n'y aurait eu qu'à rire ; mais à cette heure, seul, sans témoins, il y a,
certes, de quoi faire penser !
Bianchon ne voulut pas avoir l'air d'espionner le premier chirurgien de
l'H.tel-Dieu, il s'en alla. Par hasard, Desplein l'invita ce jour-là même à
r avec lui, hors de chez lui, chez un restaurateur.

Entre la poire et le fromage Bianchon arriva, par d'habiles préparations,
à parler de la messe, en la qualifiant de momerie et de farce.
– Une farce, dit Desplein, qui a co.té plus de sang à la chrétienté que
toutes les batailles de Napoléon et que toutes les sangsues de Broussais !
La messe est une invention papale qui ne remonte pas plus haut que le
VIe siècle, et que l'on a basée sur Hoc est corpus. Combien de torrents de
sang n'a-t-il pas fallu verser pour établir la Fête-Dieu par l'institution de
laquelle la cour de Rome a voulu constater sa victoire dans l'affaire de la
Présence Réelle, schisme qui pendant trois siècles a troublé l'Eglise ! Les
guerres du comte de Toulouse et les Albigeois sont la queue de cette affaire.
Les Vaudois et les Albigeois se refusaient à e cette
innovation.
Enfin Desplein prit plaisir à se livrer à toute sa verve d'athée, et ce fut
un flux de plaisanteries voltairiennes, ou, pour être plus exact, une détestable
du Citateur.
– Ouais ! se dit Bianchon en lui-même, où est mon dévot de ce matin ?
Il garda le silence, il douta d'avoir vu son chef à Saint-Sulpice. Desplein
n'e.t pas pris la peine de mentir à Bianchon : ils se connaissaient
trop bien tous deux, ils avaient déjà, sur des points tout aussi graves,
échangé des pensées, discuté des systèmes de natura rerum en les sondant
ou les disséquant avec les couteaux et le scalpel de l'Incrédulité.
Trois mois se passèrent. Bianchon ne donna point de suite à ce fait,
quoiqu'il restat gravé dans sa mémoire. Dans cette année, un jour, l'un
des médecins de l'H.tel-Dieu prit Desplein par le bras devant Bianchon,
comme pour l'interroger.
– Qu'alliez-vous donc faire à Saint-Sulpice, mon cher e ? lui dit-il.
– Y voir un prêtre qui a une carie au genou, et que madame la duchesse
d'Angoulême m'a fait l'honneur de me recommander, dit
Desplein.
Le médecin se paya de cette défaite, mais non Bianchon.
– Ah ! il va voir des genoux malades dans l'église ! Il allait entendre sa
messe, se dit l'interne.
Bianchon se promit de guetter Desplein ; il se rappela le jour, l'heure
auxquels il l'avait surpris entrant à Saint-Sulpice, et se promit d'y venir
l'année suivante au même jour et à la même heure, afin de savoir s'il l'y
surprendrait encore. En ce cas, la périodicité de sa dévotion autoriserait
une investigation scientifique, car il ne devait pas se rencontrer chez un
tel homme une contradiction directe entre la pensée et l'action. L'année
suivante, au jour et à l'heure dits, Bianchon, qui déjà n'était plus l'interne
de Desplein, vit le cabriolet du chirurgien s'arrêtant au coin de la rue de

Tournon et de celle du Petit-Lion, d'où son ami s'en alla jésuitiquement
le long des murs à Saint-Sulpice, où il entendit encore sa messe à l'autel
de la Vierge. C'était bien Desplein ! le chirurgien en chef, l'athée in petto,
le dévot par hasard. L'intrigue s'embrouillait. La persistance de cet
illustre savant compliquait tout. Quand Desplein fut sorti, Bianchon
s'approcha du sacristain qui vint desservir la chapelle, et lui demanda si
ce monsieur était un habitué.
– Voici vingt ans que je suis ici, dit le sacristain, et depuis ce temps
monsieur Desplein vient quatre fois par an entendre cette messe ; il l'a
fondée.
– Une fondation faite par lui ! dit Bianchon en s'éloignant. Ceci vaut le
mystère de l'Immaculée Conception, une chose qui, à elle seule, doit
rendre un médecin incrédule.
Il se passa quelque temps sans que le docteur Bianchon, quoique ami
de Desplein, f.t en position de lui parler de cette particularité de sa vie.
S'ils se rencontraient en consultation ou dans le monde, il était difficile
de trouver ce moment de confiance et de solitude où l'on demeure les
pieds sur les chenets, la tête appuyée sur le dos d'un fauteuil, et pendant
lequel deux hommes se disent leurs secrets. Enfin, à sept ans de distance,
après la révolution de 1830, quand le peuple se ruait sur l'Archevêché,
quand les inspirations républicaines le poussaient à détruire les croix dorées
qui poindaient [La forme attendue est . poignaient .. Balzac a ten-
dance à confondre . poindre . et . pointer ..], comme des éclairs, dans
l'immensité de cet océan de maisons ; quand l'Incrédulité, à
avec l'Emeute, se carrait dans les rues, Bianchon surprit Desplein entrant
encore dans Saint-Sulpice. Le docteur l'y suivit, se mit près de lui, sans
que son ami lui f.t le moindre signe ou témoignat la moindre surprise.
Tous deux entendirent la messe de fondation.
– Me direz-vous, mon cher, dit Bianchon à Desplein quand ils sortirent
de l'église, la raison de votre capucinade ? Je vous ai déjà surpris trois
fois allant à la messe, vous ! Vous me ferez raison de ce mystère, et
m'expliquerez ce désaccord flagrant entre vos opinions et votre conduite.
Vous ne croyez pas en Dieu, et vous allez à la messe ! Mon cher e,
vous êtes tenu de me répondre.
– Je ressemble à beaucoup de dévots, à des hommes profondément religieux
en apparence, mais tout aussi athées que nous pouvons l'être,
vous et moi.
Et ce fut un torrent d'épigrammes sur quelques personnages politiques,
dont le plus connu nous offre en ce siècle une nouvelle édition du
Tartufe de Molière.

– Je ne vous demande pas tout cela, dit Bianchon, je veux savoir la raison
de ce que vous venez de faire ici, pourquoi vous avez fondé cette
messe.
– Ma foi, mon cher ami, dit Desplein, je suis sur le bord de ma tombe,
je puis bien vous parler des commencements de ma vie.
En ce moment Bianchon et le grand homme se trouvaient dans la rue
des Quatre-Vents, une des plus horribles rues de Paris. Desplein montra
le sixième étage d'une de ces maisons qui ressemblent à un obélisque,
dont la porte batarde donne sur une allée au bout de laquelle est un tortueux
escalier éclairé par des jours justement nommés des jours de souffrance.
C'était une maison verdatre, au rez-de-chaussée de laquelle habitait
un marchand de meubles, et qui paraissait loger à chacun de ses
étages une différente misère. En levant le bras par un mouvement plein
d'énergie, Desplein dit à Bianchon : – J'ai demeuré là-haut deux ans !
– Je le sais, d'Arthez y a demeuré, j'y suis venu presque tous les jours
pendant ma première jeunesse, nous l'appelions alors le bocal aux
grands hommes ! Après ?
– La messe que je viens d'entendre est liée à des événements qui se
sont accomplis alors que j'habitais la mansarde où vous me dites qu'a demeuré
d'Arthez, celle à la fenêtre de laquelle flotte une corde chargée de
linge au-dessus d'un pot de fleurs. J'ai eu de si rudes commencements,
mon cher Bianchon, que je puis disputer à qui que ce soit la palme des
souffrances parisiennes. J'ai tout supporté : faim, soif, manque d'argent,
manque d'habits, de chaussure et de linge, tout ce que la misère a de plus
dur. J'ai soufflé sur mes doigts engourdis dans ce bocal aux grands
hommes, que je voudrais aller revoir avec vous. J'ai travaillé pendant un
hiver en voyant fumer ma tête, et distinguant l'air [Coquille du Furne :
l'aire.] de ma transpiration comme nous voyons celle des chevaux par un
jour de gelée. Je ne sais où l'on prend son point d'appui pour résister à
cette vie. J'étais seul, sans secours, sans un sou ni pour acheter des livres
ni pour payer les frais de mon éducation médicale ; sans un ami : mon
caractère irascible, ombrageux, inquiet me desservait. Personne ne voulait
voir dans mes irritations le malaise et le travail d'un homme qui, du
fond de l'état social où il est, s'agite pour arriver à la surface. Mais j'avais,
je puis vous le dire, à vous devant qui je n'ai pas besoin de me draper,
j'avais ce lit de bons sentiments et de sensibilité vive qui sera toujours
l'apanage des hommes assez forts pour grimper sur un sommet quelconque,
après avoir piétiné long-temps dans les marécages de la Misère.
Je ne pouvais rien tirer de ma famille, ni de mon pays, au delà de
l'insuffisante pension qu'on me faisait. Enfin, à cette époque, je mangeais

le matin un petit pain que le boulanger de la rue du Petit-Lion me vendait
moins cher parce qu'il était de la veille ou de l'avant-veille, et je
l'émiettais dans du lait : mon repas du matin ne me it ainsi que
deux sous. Je ne is que tous les deux jours dans une pension où le r
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